NOUS NE CONFINERONS PAS ENSEMBLE Ch.2

Chapitre 2

 Je ne pus toutefois me résoudre à jeter l’objet dans la plus proche poubelle ! Pur  sentimentalisme peut-être ! Peu importait ! S’il ne me restait d’elle qu’un masque et l’empreinte d’un supposé baiser, je devais à tout prix en conserver le témoignage concret.

Je n’avais point rêvé ! La rousse aux yeux verts rencontrée dans le supermarché avait bien laissé sa trace, celle d’un tissu blanc, d’une bouche écarlate, d’un parfum de fleur. Avec ces indices je pouvais construire mon histoire !

Je mis le masque sous un globe de verre et l’installai là où mes félins et moi nous tenions la plupart du temps, dans ma cuisine,  je le plaçai sur l’étagère du dessus d’évier, entre le bocal de céréales et celui de croquettes pour chats.

La cuisine était ma passion, le confinement une occasion de l’exercer, de tester, de goûter, d’évaluer, de critiquer, de proposer aussi… Suggérer et contrôler étaient également mon métier, un métier d’électron libre et de petit rapporteur. Je rendais compte à de grands ou petits groupes de mes expériences, je testais leur politique et techniques commerciales puis, en toute objectivité, j’imaginais des solutions pour contourner les contraintes et suggérer  des sorties de crise honorables voire glorieuses ! Cette période de confinement était la mienne. J’avais encore une dizaine de supermarchés et supérettes à évaluer dans le secteur avant de rendre mes diagnostics.

Je cogitais actuellement sur le secteur sensible de la distribution, la grande, la moyenne et la petite tout en gardant un Å“il sur les comportements de consommateurs, les cÅ“urs de cible. Il me fallait proposer des idées neuves, des solutions inédites  face à la pandémie qui mettait le commerce de ville à genoux et les grandes surfaces en rupture de stock potentielle. Ce n’était donc pas le moment de perdre de vue mes ambitions et perspectives de carrière pour une mère de famille porteuse d’un bonnet jaune ! Pitié !!!! Le jaune en gilet avait suffisamment impacté l’économie française ces derniers temps !

Je chassais d’un geste les chats installés sur mon clavier et tentais de me remettre sérieusement à mon étude marketing. La visite des derniers supermarchés visités m’avait permis d’observer bon nombre de comportements tant de consommateurs que d’employés du magasin. La tendance générale était à la morosité, l’inquiétude, le repli sur soi. Dehors comme dedans les acheteurs étaient gris, au physique, au mental, non du gris de la petite ivresse mais gris d’une infinie tristesse de souris affamée. Il était grand temps de mettre au point une stratégie qui permette à tous de vendre et d’acheter rassurés et pourquoi pas, amusés !

Les gestes barrières semblaient respectés mais la suspicion restait de mise. Ce foutu virus n’allait-il pas bondir d’un manteau à un autre, d’un bonnet à une paire de gants tel une puce sauteuse ? Je me devais de réinventer le système de protection de nos compatriotes et consommateurs. J’étais grassement payé pour ça !

Mes déplacements dans de nombreux pays m’avaient permis de nouer de précieux contacts avec certains dirigeants du secteur de l’emballage plastique. J’avais soumis mon projet à bon nombre nombre d’entre eux. Le ministre du commerce lui-même s’était intéressé à mes préconisations. Les grandes surfaces devaient se protéger et protéger leurs clients de pieds en cap tout en leur donnant, le temps de leurs achats, oubli, évasion et sourire.

La technologie nouvelle nous permettait d’utiliser un papier non tissé issu des plastiques biodégradables recyclés en quantité illimitée. Les poissons et tortues marines allaient être enfin tranquilles ! Nous allions reconvertir ce matériau assassin en un tissu tout doux, inoffensif pour l’homme comme pour l’environnement et réutilisable à l’infini. Avec ce textile innovant, lavable, facile à travailler, nous allons créer des déguisements sécurisés à 100% pour chaque client. Avant de pénétrer dans le magasin, il enfilera sur ses propres vêtements une combinaison intégrale incluant cagoule, gants, lunettes et chaussures totalement étanches sur lesquelles aucune bactérie ou virus ne saurait pénétrer. Personne n’aura donc accès au magasin sans revêtir gratuitement un costume de Mickey, de Zorro, de superman, Astérix, de Blanche-neige et autres héros de BD, de légendes ou de dessins animés. Les clients pourront choisir leur déguisement en fonction de leur moi intime, de leur sens de l’esthétique, de leur culture personnelle, de leur âge et de leur morphologie…

Ainsi chacun se sentira protégé, rassuré, amusé, décontracté. Les clients baguenauderont à nouveau sereinement dans les allées, travestis mais soulagés pour un temps d’être un autre, dans un autre monde ! La gaité et les couleurs seront à nouveau au RV de la vie et de la consommation raisonnée.

Il sera possible de réserver votre déguisement auprès des enseignes habituelles. Attention aux ruptures de stock, les costumes de certains  personnages seront vite pris d’assaut !

Le ministère de la santé ayant approuvé par ordonnance ce nouveau concept, la fabrication de ces équipements supportant lavages et désinfections permanents, sera opérationnelle dès la semaine prochaine. L’annonce sera faite aujourd’hui au JT de 20 heures, 10 millions de costumes sont à ce jour en commande dans un pays que je suis  seul à connaître et que je ne saurais vous révéler !

Tous les personnels travaillant pour et dans ces commerces, grands ou petits sont également concernés par ces mesures de travestissements obligés.

Comme à l’accoutumée, j’irai sur le terrain vérifier le respect des consignes et rendre mes conclusions à qui de droit !

J’ai hâte… J’ai déjà réservé mon costume !

Joëlle Bosschem

jobo5@orange.fr

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