La guerre est donc déclarée. En juillet 1870 nos carabiniers et engagés volontaires chantent « à Berlin » et crient « se sera court ». Nous entendrons hélas les mêmes formules en 1914.
Alors comme ce fut en 1814, et comme ce sera en 1914, Senlis verra venir les premiers casques à pointe en septembre 1870. Notre ville subira ainsi toutes les invasions venues du nord avec son cortège d’humiliations, de destructions, mais aussi de grand courage des Senlisiens qui valut à notre Ville la nomination de « sentinelle de Paris » et reçut la croix de guerre en 1920.
Notre ville est donc occupée. Malgré les concerts d’une autre culture donnés sur le cours et les nombreux défilés, les Senlisiens font preuve d’une grande réserve patriotique et cachent leur pincement au cÅ“ur.
Dans cette atmosphère de plomb au milieu du malaise général, une femme circulait avec aisance. C’était Mlle Fritsch. Elle est de tout, elle est partout, elle prodigue ses grâces aux Allemands, ses promesses aux Français. Les reproches fusent; traitrises ou simples frissons à la vue des beaux uniformes ennemis? Oh, elle a réponse à tout :
-« J’agis ainsi, dit-elle à ceux qui lui adressent encore la parole, pour l’intérêt de la Ville et celui de nos prisonniers en Allemagne. »
N’importe, elle dépasse la mesure, même si, probablement elle agit utilement. On ne lui pardonnera pas de faire la fête avec les officiers envahisseurs, au château de Valgenceuse par exemple.
On la verra parfois se pavanant sur la « promenade du tour de ville » au bras d’un officier allemand, tantôt l’un, tantôt l’autre.
L’attitude de Mlle Fritsch paraissant pour le moins louche, la municipalité fit décacheter les lettres qu’elle reçoit d’Allemagne. Toutefois, monsieur Mahon, secrétaire de Mairie déclarera plus tard n’avoir trouvé aucune trace d’espionnage ou d’intelligence avec l’ennemi.
-.—–.-
C’était le 24 décembre 1970. Dans la ville morne, les cloches ne sonnent plus en cette veille de Noël ; elles se sont tues depuis l’occupation de l’ennemi. Sur la place Henri IV, le vieil Hôtel de Ville est encombré de civils et militaires ennemis. En pleine guerre, les formalités sont nombreuses, nécessitant l’intervention des pouvoirs municipaux. Monsieur Mahon ne sait plus où donner de la tête, lorsque la porte s’ouvre laissant paraitre la silhouette fine d’une femme qui s’avance à pas comptés, s’ouvrant un chemin à travers les soudards qui se sont tus brusquement. Mr Mahon reconnait Mlle Fritsch,  remarquant son extrême pâleur. Elle tient dans les bras une petite loque humaine enveloppée sous une vaste couverture.
D’une voix mélodieuse, elle murmure :
–         « Je viens, Mr Mahon, vous déclarer la naissance d’un enfant »
Stupeur
–         « C’est un enfant naturel de ma bonne. Il est né à deux heures du matin, sans aucun secours, ni médecin, ni sage femme, car il est très difficile en ce moment d’en trouver ».
Mais vous deviez vous attendre à l’évènement ?
–         « Ah non, pas du tout, je ne me suis aperçue de rien… Sa mère est une brave fille nommée Elise Kling»
–Â Â Â Â Â Â Â Â Â …
C’est bon mademoiselle, comment l’appellera-t-on ?
–         « Pourquoi pas Noël ? »
Ainsi le petit être s’appellera Noël, Georges, Eugène Kling. Quant à celle qui l’adopta et qui se déclarait ne pas avoir d’identité, se fit appeler Eugénie de Lünck , en souvenir de sa mère, qui n’était d’ailleurs peut-être pas sa mère.
C’est désormais sous ce nom que nous appellerons cette dame de plus en plus étrange.
Les formalités terminées, Mlle de Lünck s’engouffra dans l’escalier à vis du XVe siècle.
Mais que deviendra cet enfant ? Quand la ville se sera éveillée du cauchemar de la guerre, on ne le verra plus. Etait-il mort jeune ? On ne saura rien de lui. On imagine alors les rumeurs les plus folles autant qu’absurdes. Eugénie de Lünck était-elle sa mère ? L’a-t-elle fait disparaître ? Des voisins à l’imagination fertile (comme il arrive souvent à Senlis) racontèrent que le puits au fond du jardin serait devenu le tombeau du petit Noël.
Ces basses calomnies étaient trop injustes, Eugénie de Lünck avait un cÅ“ur tendre, d’ailleurs, un jour…
Non loin de la rue Saint Yves à l’Argent, il y avait une petite maison à l’angle de la rue Saint Hilaire et la rue du Chancelier Guérin, tout proche du marché Saint Pierre. En 1871 elle était occupée par une petite épicerie où Monsieur Boutry vendait des mélasses, chandelles, et de merveilleux pains d’épices. L’autorité d’alors lui imposa d’héberger un cadet de l’armée prussienne que les fatigues de la guerre avaient rendu malade. Aussitôt Mlle de Lünck arriva, le cÅ“ur plein de tendresses, les mains chargées de fioles pharmaceutiques. Elle reviendra tous les jours. Elle obtint même de la part des autorités françaises et prussiennes l’autorisation de le garder chez elle. Sans doutes ses soins furent-ils efficaces, car lors de l’évacuation du territoire par l’ennemi le cadet s’en alla frais et musclé. Mais le lendemain, les fenêtres de la maison de la rue Saint Yves à l’argent étaient toutes closes. Les voisins réussirent même à entrer. A l’évidence Eugénie de Lünck s’était envolée…Etait-elle partie dans le sillage du bel officier ?
Les années passèrent, les Fritsch absents étaient oubliés. Seule Mme L.. femme d’un avoué, qui possédait les clés de la maison, reçut quelques lettres de Mlle de Lünck venant d’Allemagne ou d’Italie ou même de Paris où elle aurait loué un appartement au 6, rue Douphot près de la Madeleine.
Un jour Mme L.. reçu de bien étranges nouvelles : Mlle de Lünck venait d’épouser à Rome, dans la chapelle du vatican le comte de la Pommière de Pomariski, autrichien d’origine polonaise. Elle conta même par le suite que le Saint Père avait bénit l’union.
Bien sûr la rumeur, encore elle, fut prompte à confondre ce « de la Pommière » avec le cadet de l’armée allemande parti avec elle.
Mais environ six mois plus tard, un autre avoué reçut un billet de faire-part du décès du comte de la Pommière. Mlle de Lünck ou plutôt Madame de la Pommière raconta plus tard qu’elle a perdu son mari avec lequel elle ne s’entendait pas, pendant leur voyage de noces en Egypte.
La rumeur, toujours elle, fut prompte à porter tous les doutes sur ce mariage et même sur l’existence de ce comte de la Pommière.
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Quelques temps plus tard, on revit Mr Fritsch, souriant et heureux de revenir en France, làs visiblement de quelques désillusions de son séjour en Allemagne. Il fut bientôt suivi par la comtesse de la Pommière. Audacieuse elle tenta de nombreuses visites dans toute la ville, mais aucune de ces personnes de « La Société » ne la lui rendit.
Mais voilà qu’une nouvelle aventure piqua la curiosité de nos Senlisiens. C’est un drôle de diablotin qui un jour sortit de la « boite de la rue Saint Yves à l’Argent ». On s’aperçoit que Mme de la Pommière traine par la main la plus étrange créature qui puisse s’imaginer.
Quelle est cette étrange créature ?